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Témoignage de Caroline : Quand la grossesse multiple se complique : Une expérience du syndrôme transfuseur-transfusé (STT)

Dès l’annonce de la grossesse multiple : « je vois deux embryons… oui, oui, j’ai bien deux activités cardiaques… Félicitations madame, vous attendez des jumeaux ! », nous entrons dans un monde à part, celui des grossesses « à risque ». Les médecins nous le répètent, ce n’est pas une grossesse comme les autres. A la fin de l’année 2006, j’apprends que mes bébés, deux filles, se partagent le même placenta, et sont seulement séparées dans l’utérus par une cloison très fine (c’est une grossesse monochoriale biamniotique). Ce sont donc de « vraies » jumelles, issues du même œuf, dont les gènes sont identiques à 100 %.

La grossesse se déroule très bien lorsque je me rends, vendredi 16 mars 2007, à une échographie de routine. Je suis enceinte d’environ 5 mois et demi (entre 25 et 26 semaines). A l’écran, le médecin détecte plusieurs anomalies : l’un des bébés « nage » dans une grande quantité de liquide amniotique, l’autre en a très peu, et sa vessie n’apparaît presque pas à l’écran. Un déséquilibre visible s’est créé entre les deux bébés au cours des derniers jours. Le verdict tombe : il s’agit d’un syndrôme transfuseur-transfusé (STT)(1). De quoi s’agit-il ? Dans le cas des grossesses multiples monochoriales, les bébés partagent plusieurs veines et artères, reliées au placenta unique par chaque cordon ombilical. Or dans certains cas, les échanges sanguins peuvent être déséquilibrés entre les deux fœtus. L’un deux (le receveur) reçoit trop de sang, alors que l’autre (le donneur), pas assez. Les conséquences peuvent être très graves pour l’un (surcharge cardiaque, œdème pour le donneur) comme pour l’autre (insuffisance cardiaque, anémie pour le receveur). Dès que le diagnostic est posé, tout va très vite. Le seul véritable traitement existant à ce jour fait appel à une technologie de pointe : il s’agit d’introduire un laser dans le ventre de la mère par une toute petite incision, pour aller coaguler sur le placenta les connexions veineuses et artérielles (appelées anastomoses) anormales entre les bébés. Avec ce procédé, il y a environ 75 % de chances de sauver un bébé, et 55 % de chances de sauver les deux. Je suis transférée à Poissy en ambulance dès le lundi 19 mars, dans le service spécialisé du Professeur Yves Ville, qui prend en charge des patientes atteintes du STT venant de toute l’Europe. J’ai la chance de me trouver alors entre les mains de grands spécialistes venus du monde entier. L’équipe médicale est formidablement compétente et humaine, toujours à notre écoute, et disponible pour répondre à la moindre de nos questions. Mardi 20 mars, le Professeur Ville fixe l’opération à midi. Mon compagnon y assiste, il me tient la main, pendant une vingtaine de minutes le Professeur Ville nous décrit ce qu’il fait, puis il conclut : « voilà, c’est fini, l’intervention a réussi. Maintenant, il faut attendre… ». Il faut en effet attendre de voir si les fœtus ont supporté l’opération. L’équipe médicale a coagulé six anastomoses et  drainé 1,4 litre de liquide amniotique qui se trouvait en excès dans la poche du « receveur », ce qui donnait à mon ventre un aspect très gonflé. Le soir même, nous apprenons que les bébés ont survécu, et dès le lendemain, que le rééquilibrage s’opère rapidement. La situation est redevenue normale… nous le savons, nous avons eu beaucoup de chance.

Après un suivi de grossesse très rigoureux (une échographie tous les 15 jours, puis toutes les semaines), Nora et Lucile sont nées par césarienne le 16 mai 2007. Elles n’ont absolument aucune séquelle et sont pleines de vie. L’équipe du Professeur Ville est aujourd’hui à l’hôpital Necker à Paris. L’une de ses préoccupations majeures est d’améliorer le suivi des grossesses gémellaires monochoriales, en insistant sur le caractère indispensable de réaliser tôt dans la grossesse une échographie tous les 15 jours, et non tous les mois comme cela se pratique souvent, pour détecter le STT et le traiter avant qu’il ne devienne irréversible. Cette prise en charge passe aussi par l’information des patientes, afin qu’elles soient attentives aux symptômes précurseurs du syndrôme transfuseur-transfusé : des douleurs vives aux côtes, une soif intarissable, une prise de poids très rapide, un ventre gonflé et non plus souple doivent nous alerter, à tout moment de la grossesse.


(1) Le STT complique environ 5 à 15 % des grossesses multiples monochoriales, qui représentent pour les jumeaux 30 % des grossesses.